VAR MATIN – Et si des associations de soignants permettaient une meilleure prise en charge des patients ?

Depuis 2018, le ministère des Solidarités et de la santé incite les généralistes, spécialistes, infirmiers ou encore pharmaciens à se regrouper en communautés professionnelles territoriales de santé. Le but ? Mieux organiser la médecine de ville pour favoriser un meilleur accès au soin. Mais comment ? Nous l’avons demandé aux CPTS de l’ouest toulonnais et de Nice-ouest.

La CPTS La Seyne – Toulon-ouest bénéficie d’une coordinatrice, Émilie Mérens, et d’un président bénévole, le Dr Wilfrid Guardigli. (Photo V. R.)
“Les Soignants Tous Organisés.” Le Dr Wilfrid Guardigli s’amuse de la définition qu’il donne à l’appellation de “sa” communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). En fait, le sigle LSTO signifie La Seyne – Toulon-ouest. Avec Ollioules, Le Revest et Saint-Mandrier, c’est le territoire sur lequel s’étend la CPTS.
Un bassin de près de 150.000 habitants, qui peuvent ainsi bénéficier d’une organisation territoriale des soins de premier – les médecins généralistes –, de deuxième recours – les spécialistes –, ainsi que de nombreux autres soignants tels que les infirmiers, les dentistes, les sages-femmes ou encore les kinésithérapeutes. “Une CPTS, décrit celui qui préside celle de La Seyne et de l’ouest-toulonnais, c’est le groupement fonctionnel des professionnels de santé libéraux d’un territoire.”

L’objectif est de travailler de façon coordonnée pour améliorer la prise en charge des patients de la population entière du territoire.

Les CPTS sont issues du plan de réforme du système de santé annoncé par le président de la République en septembre 2018. Sur le site Internet du ministère des Solidarité et de la Santé, on peut lire qu’il s’agit de “s’organiser autour d’un projet de santé pour répondre à des problématiques communes : organisation des soins programmés, coordination ville-hôpital, attractivité médicale du territoire, coopération entre médecins et infirmiers pour le maintien à domicile”.
Au 20 décembre 2021, 200 CPTS avaient été validées à travers la France, dont 5 dans les Alpes Maritimes et 5 dans le Var. Beaucoup d’autres sont en phase de création selon la Fédération nationale des CPTS.

Éviter l’embolie des services

Pourtant, prévient le Dr Guardigli, “il ne faut pas penser que la CPTS va régler l’intégralité des problèmes qui se posent à la population, qui perd son accès au soin”. Il assène : “Elle n’augmente pas le nombre de médecins, ni de paramédicaux. Elle essaye d’améliorer la santé de la population avec ses petits moyens.”

En somme, la CPTS ne lutte pas en soi contre les déserts médicaux. Elle permet d’organiser la médecine de ville de façon à ce que les praticiens ne soient pas surchargés à mauvais escient.
Pour le Dr Guardigli, s’impliquer dans la CPTS, c’était une évidence : “Qui mieux que nous, médecins généralistes, peut s’en occuper ? Je ne vois pas…” (Photo V. R.). De quelle manière ? En fléchant, favorisant, fluidifiant. Concrètement, un patient qui consulterait un médecin généraliste de la CPTS bénéficierait plus facilement, s’il en a besoin, d’une orientation plus précise et plus rapide vers un spécialiste de la communauté. Encore aujourd’hui, décrit Wilfrid Guardigli, lorsqu’un Français veut aller voir un spécialiste hospitalier, il peut y aller directement.
Certains vont consulter un cardiologue, alors qu’ils ont un problème rhumatologique : ça arrive tout le temps.

“Ça embolise des services, mais rien ne peut l’empêcher.” Pas même le parcours de soin instauré en 2004, estime le médecin. “Ce n’est pas coercitif et le peu qu’on perd en remboursement, si on n’a pas de courrier de son médecin traitant, n’est pas du tout dissuasif.”

Le Dr Guardigli illustre : “Dans le Var, les diabétiques qui doivent faire un examen ophtalmologique, ne le font pas, alors qu’on est un des départements de France où il y en a le plus. Ça veut dire qu’il y a un frein quelque part. La CPTS est là pour fluidifier ça. On a donc trouvé une solution pour que ces gens obtiennent le résultat souhaité, c’est-à-dire le bilan ophtalmologique du diabète.”

Avec le maintien à domicile des personnes âgées, c’est un des parcours sur lesquels la CPTS de La Seyne a particulièrement travaillé depuis sa mise en œuvre officielle il y a tout juste un an.

La communauté professionnelle territoriale de santé LSTO concerne quelque 150.000 Varois. (Infographie Rina  Uzan).

Pour que la médecine de ville survive

“Jusqu’à maintenant, il n’y avait jamais eu d’organisation de la médecine de ville, aucune régulation à l’accès aux médecins de premier recours – les généralistes –, de second recours – les spécialistes –, de troisième recours – les hospitaliers”, s’étonne encore le Dr Guardigli. Heureusement, modère-t-il, les communautés professionnelles territoriales de santé apparaissent comme la première étape d’une régulation de la médecine de ville. “On n’y vient que maintenant, parce que la politique de santé de France ne s’est jamais intéressée à la médecine de ville, estime le généraliste. Elle ne s’est intéressée qu’à la médecine hospitalière. Donc on a développé les hôpitaux, on a des hôpitaux d’excellence, des centres hospitaliers universitaires… On a tout mis là-dedans.”

Pendant ce temps-là, la situation de la médecine de ville n’a fait que se dégrader. Au point d’être “en déshérence totale”. En atteste, l’étendue de certains déserts médicaux ou la moyenne d’âge des médecins généralistes, plus proche de la retraite que du début de carrière. Selon les chiffres de Atlas 2021 de la démographie médicale, la moyenne d’âge des médecins généralistes est de 49,4 ans dans les Alpes-Maritimes et de 51,8 ans dans le Var. “Il est bien temps de s’intéresser à la médecine de ville, de faire en sorte qu’elle survive”, martèle Wilfrid Guardigli.

Fer de lance face au Covid-19

Depuis décembre 2020, ce qui a beaucoup occupé la communauté LSTO, c’est la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Ainsi, sa principale mission a été d’organiser la campagne de vaccination sur son territoire.
La plupart des personnes qui ont été vaccinées en France l’ont été grâce aux CPTS.

“Les gens qui vaccinent, rappelle le Dr Guardigli, sont des médecins, des infirmières, des pharmaciens, des kinés, gérés par les CPTS, là où il y en a. On a donc fait les plannings pour organiser la vaccination. C’est plutôt novateur !” Sur le secteur, quelque 94.000 injections de sérum anti-Covid ont été réalisées.
Plus tôt dans la crise sanitaire, lors du premier confinement au printemps 2020, alors qu’elle n’était qu’en gestation, la CPTS avait été à l’origine d’un des premiers centres Covid, destiné notamment aux tests. Ceci, sans le moindre financement.

Comme une préfiguration de ce que peut faire une CPTS, le centre de consultation Covid installé dans une ancienne école de La Seyne en avril 2020. (Photo doc. Luc Boutria).

Depuis la signature de l’accord conventionnel interprofessionnel, qui formalise un cadre pérenne, la  communauté bénéficie d’un financement de l’Assurance-maladie. “Pour cette première année, on a eu  75.000 euros“, détaille le président de la CPTS. Un montant qui sert notamment à l’organisation de la  structure et lui permet de salarier une coordinatrice à temps plein – Émilie Mérens – et de payer le  loyer du bureau qu’occupe la CPTS au sein de la maison de santé Caduceus à La Seyne. Le président,  lui, est bénévole.

À Nice, la structure qui couvre l’ouest de la ville, ainsi que Colomars – bassin de 111.000 habitants – a  été créée sous forme associative en 2019 et est financée par l’ARS et l’assurance maladie depuis juin  2021. Elle a eu l’opportunité de partager les locaux du Pôle de santé du quartier des Moulins  (développé en 2013). Notamment parce que Céline Casta, sa présidente, y exerce depuis douze ans.  Cette CPTS Nice Ouest Vallées compte deux salariés : une coordinatrice, pour les professionnels de  santé, et une médiatrice santé qui se charge des patients qui auraient un souci administratif ou un  besoin d’aiguillage. 

Libérer du temps médical

Après un an d’existence, l’autre bilan de la communauté La Seyne – Toulon-ouest, c’est qu'”elle a réussi à réunir du monde, à créer une dynamique de groupe”, s’enthousiasme le Dr Guardigli. Car la mise en place de ces communautés passe par la volonté des professionnels de se regrouper. Sur le secteur LSTO, Ollioules, Le Revest, Saint-Mandrier, ils sont autour de 1.400. Quelque 150 d’entre eux ont pour l’heure adhéré à l’association. À peine plus de 10% des effectifs du territoire.
La Maison de santé Caduceus à La Seyne est le cœur de la communauté professionnelle territoriale de santé LSTO. Elle en abrite d’ailleurs les bureaux. (Photo V. R.).

Mais le président de la CPTS n’est pas inquiet. “Ça ne fait qu’un an qu’on existe et la plupart n’ont pas encore compris la notion, ni l’intérêt. Ils se demandent ce que ça va leur apporter et s’imaginent que ce sera du travail en plus”, justifie le médecin.

Alors, il rappelle que si l’objectif d’une communauté professionnelle territoriale de santé est une meilleure qualité des soins pour les habitants d’un territoire, il s’agit aussi d’améliorer la qualité de vie des professionnels de santé.

“Si le médecin ne faisait que de la médecine, il en ferait plus!” Wilfrid Guardigli insiste : “Grâce à la  CPTS, les médecins auront plus de temps médical libre et moins de temps non médical.” Par exemple,

décrit-il, les praticiens membres de la communauté territoriale bénéficieront d’assistants médicaux,  de moyens d’orientation. Il y aura aussi des infirmières en pratique avancée, formées pour prescrire  et modifier des traitements. “On va favoriser leur travail et faire en sorte qu’ils n’aient plus de tâche  qui n’ont rien à voir avec la médecine, comme remplir des papiers administratifs, faire de la  facturation.”

Plus les professionnels sont organisés, plus ils travaillent dans de bonnes conditions.

Les professionnels de santé de Nice-ouest réunis pour évoquer le travail au sein de la CPTS. (Photo DR). 

Le Dr Céline Casta, à Nice-ouest, confirme que le projet de santé et cette réflexion autour des besoins  des professionnels de santé comme de ceux des patients du territoire est extrêmement porteuse. Une  centaine de libéraux a déjà adhéré et participe – chacun à sa manière, en fonction du temps imparti et  de ses objectifs – à ce travail d’organisation qui favorise un meilleur accès aux soins. 

Un chantier essentiel puisqu’il est difficile, pour l’heure, d’envisager de gonfler les rangs… “Nous  sommes déjà sous-dotés en médecins généralistes sur notre secteur : nous sommes à 8,03 généralistes  pour 10.000 habitants, donc en-dessous de la moyenne nationale (à 8,9), en dessous de celle de Nice  (13,3) et de la région (11,1). Et des départs à la retraite s’annoncent, j’en ai listé au moins quatre.

Rendre les territoires plus attractifs

Notre objectif est de rendre le territoire plus attractif, reprend le Dr Casta à Nice. C’est tout l’intérêt  de décloisonner et d’échanger. De travailler sur l’existant, parce qu’on ne va pas réinventer la roue. Je  sais qu’il y a une crainte de certains pro, qui se disent qu’adhérer à une CPTS c’est accepter une  mainmise de l’État ou bien que c’est la porte ouverte au salariat… mais non.” Et le Dr Guardigli à La  Seyne de regretter que, pour l’heure, “un certain nombre de professionnels aient une vision assez  négative du système“.

Les CPTS mettent des assistants médicaux à disposition de ses médecins adhérents afin de faciliter leur  travail. (Photo DR). 

Certains médecins craignent par exemple de perdre la main sur le suivi de leur patient, celui-ci étant  en partie assuré par les fameux assistants médicaux ; d’autres redoutent un chantage au Rosp, la part  de leur rémunération sur objectifs de santé publique, s’ils n’adhèrent pas à une CPST. “Pour moi, la  CPTS, c’est 100% bénéfique, assure pourtant le président de la communauté LSTO en réponse à ces  inquiétudes. “Plus les professionnels sont organisés, plus ils travaillent dans de bonnes conditions,  confirme le Dr Casta. Et plus la situation s’améliore pour les patients. Et quel bonheur d’échanger d’égal  à égal, ça renforce encore davantage notre engagement et notre pratique.

On nous donne la possibilité de nous organiser et on nous donne un financement pour le  faire. C’est une opportunité formidable. 

Au point qu’il ne voit aucune limite à cette structuration. La seule, dit-il, “c’est notre imagination”. Et  d’argumenter : “Aujourd’hui, on a un financement de l’Assurance-maladie qui est assez contraint,  mais qu’est-ce qui nous empêche d’aller chercher des financements extérieurs et d’avoir d’autres  objectifs que ceux qui nous ont été assignés.” 

Il pense déjà à une mission de médecine préventive : “Moi, en tant que médecin, ça m’intéresse d’éviter  aux gens d’être malades !”

Professionnels de santé et patients alliés pour une meilleure prévention

La prévention est un pan important des quatre grandes missions définies par la CPTS de Nice-ouest. Il  y a d’abord l’accès à un médecin traitant et à des soins non-programmés (ressentis urgents par le  patient). Ensuite, un “parcours patient” a été développé : la CPTS a tissé des liens étroits avec tous les  services indispensables à ceux qui ont des maladies chroniques – CHU de Nice, Centre Lacassagne, etc.  Pandémie oblige, les médecins libéraux adhérents s’engagent aussi à “favoriser une réponse aux crises  sanitaires graves“.

Enfin, la prévention et l’éducation à la santé est un objectif clair et qui tend à encore évoluer : des  professionnels de santé sont rémunérés pour participer à des actions ciblées comme Octobre Rose ou  autres événements qui se déroulent dans des lieux publics. Ils accueillent et informent. 

L’objectif 2022 est d’offrir à des patients de participer également à des événements en tant que  “patients partenaires”. Le Dr Casta explique : “Des personnes atteintes de maladies chroniques, par  exemple, pourraient accompagner notre travail de prévention et d’information en venant aussi à la  rencontre de ceux qui ont besoin d’être aiguillés, qui sont en demande d’informations.

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